Les femmes de Lulu Amere sont avant tout ses femmes.
Elle les dessine comme on caresse, glissant, pour la surligner, sur la courbe d'une hanche, d'un sein, d'une épaule. Elle nous fait croire, un instant lumineux, qu'elle pourrait les abandonner à nos convoitises mais nos regards sont honteux car les femmes de Lulu Amere sont des courtisanes sans amants.
Je sais des condottieri épuisés et sans armes aux portes des palais baroques ou elles se cachent à Rome, Florence et Venise, qui n'osent interrompre leurs ébats amoureux et saphiques.
De ses hommes qui reviennent fourbus de combats pitoyables qu'ils se livrent entre eux pour peu de gloire et tant de honte. De ces hommes qui comprennent d'un seul sourire de ces femmes que la tendre aquarelle, la douce liquidité qui fait leur corps si fragile et si fort, est à jamais hors de portée de leurs appétits de conquête.
Que leur bouche habituée à crier des ordres ne goûtera jamais l'acidité ou la légère amertume des teintes qui fait de leur carnation un délice pour les sens.
Car pour que ces hommes puissent espérer surprendre leurs échanges, ils devraient venir en amis ou en confidents.
Pourtant là encore Lulu Amere les mettrait à genoux et puis à terre, par ses raccourcis vertigineux, elle calmerait leur audace. Par ses cadrages, elle les rappellerait à l'ordre. Alors silencieux, vaincus heureux, ils admireront cette plénitude des formes, ils susprendront leur souffle devant ces maillots colorés, ces tenues affriolantes dont les liens ont cédé ou vont se rompre.
Face à ce« trop-plein » de tendresse qui leur est refusé comme autant de leçons d'humilité, ils accepteront enfin pour le bonheur des yeux que les femmes de Lulu Amere soient avant tout ses femmes.
Piero Cavalleri |